Le racisme et la discrimination raciale au travail

Racisme ordinaire

Sujet de société hypermédiatisé et pourtant, peu de témoignages, de récits ou d’apports théoriques existent sur le racisme. Que ce soit à l’école ou dans la rue, au travail ou au supermarché, pour louer un appartement ou pour chercher du travail, nous sommes quotidiennement victimes ou témoins d’actes de discrimination ou de propos discriminatoires. Nous en venons à anonymiser nos C.V. pour avoir une chance d’avoir un premier entretien d’embauche, c’est dire l’espoir que l’on injecte dans nos racines…

Alors que nous voyons à la télévision trop de manifestations de violence, de propos diffamatoires à l’encontre de ceux qui ne nous ressemblent pas, des minorités… des autres… nous trouvons parfois cela injuste, sans doute blessant, et pourtant nous ne sommes pas forcément toujours irréprochables. Mais alors, qu’est-ce qui peut justifier de tels comportements, de tels idées, pourquoi sommes-nous dans une démarche de banalisation de la discrimination et, surtout, pourquoi est-il nécessaire d’aller à son encontre ?

Mais pourquoi tant de haine ?

Tajfel et Turner, les précurseurs

Pour comprendre la génèse d’un phénomène discriminant, il faut se pencher sur l’apport de la psychologie sociale, et notamment sur les recherches de Tajfel et Turner, et leur théorie de l’identité sociale, élaborée en 1972.  Les travaux de Tajfel et Turner ont permis de mettre en avant trois principes fondamentaux : la catégorisation sociale ou comment classer les gens en fonction de leur appartenance, quelle qu’elle soit, l’auto-évaluation, sous le prisme de l’identité sociale, et la comparaison sociale inter-groupe. C’est à travers ces trois postulats que nous sommes en capacité de comprendre les mécanismes qui sous-tendent les comportements intra-groupes et inter-groupes, comme la discrimination et le conflit.

Tajfel et Turner ont notamment mis en évidence que plus les membres d’un groupe sont proches des extrêmes (ce qu’ils tendent à faire naturellement avec le temps), plus ils considèreront les membres de l’exogroupe comme « les items indifférenciés d’une catégorie sociale et non en tant qu’individus ». Ainsi, le fait de véhiculer une idée généralisée fait sens (voleurs, radins, paresseux…), puisqu’ils « sont tous pareils ».

L’importance de l’appartenance à un groupe

Appartenir à un groupe social est symboliquement important. Il permet de se définir, de se positionner et de côtoyer des gens avec lesquels nous pensons avoir des intérêts communs. Le groupe social constitue donc un lieu de construction de l’identité sociale, doté d’un réseau d’influences sociales extrêmement fortes. Ces dernières peuvent à la fois être positives comme, et c’est le cas ici, négatives. Il n’est plus nécessaire de réfléchir sur la portée de ses propos ou de ses actes, sur la véracité de ceux-ci, puisque le groupe le pense. Je fais partie du groupe donc je pense comme lui.

La discrimination à « géographie » variable

Il faut également savoir que ceux qui cultivent le plus la haine des « étrangers » ne sont pas ceux qui vivent à proximité d’eux, ni même d’ailleurs ceux qui n’en croisent jamais. En effet, les premiers constatent qu’il n’y a aucun problème à vivre à leurs côtés puisqu’ils ne posent ni plus ni moins de soucis à la société que n’importe qui d’autre. Les seconds, quant à eux, ne s’en préoccupent pas du tout, trop loin de leur quotidien.

Il semblerait que ce sont ceux qui croisent des personnes d’autres origines que la leur de temps à autre mais sans jamais leur adresser la parole qui ont le plus de rigidité et d’idées préconçues. Ils s’en préoccupent car ils font potentiellement partie de leur vie, mais ils ne les connaissent pas car ils se contentent de les croiser brièvement. Les idées préconçues sont exponentiellement médiatisées, non justifiées et partagées.

Solidarité contre le racisme

Le biais de confirmation

Il existe un biais en psychologie qui consiste à penser que tout ce qu’on peut lire ou entendre va dans le sens de nos croyances. Or, les personnes victimes du biais de confirmation réalisent juste des recherches en lien avec ce qu’ils pensent et se contentent des raisonnements appuyant leurs propres arguments. Ils ignorent ainsi délibérément les informations pouvant les remettre en cause.

Tout ce que l’on peut lire sur internet ou entendre à la télévision n’est pas nécessairement objectif, ni même vrai d’ailleurs, bien au contraire. Chaque presse a sa ligne éditoriale par exemple, certains sites véhiculent leur propagande, et les messages qui sont transmis sont proportionnellement aussi invraisemblable que le contexte socio-économique est instable (installations des rumeurs en situation de guerre ou de crise sanitaire).
Ainsi, les gens ayant une idée préconçue vont préférer valider leurs conceptions des choses plutôt que de les contredire en se cultivant de l’avis des autres ou même en s’intéressant aux faits.

Du racisme ordinaire à la haine décomplexée

L’exacerbation de la banalité

Il n’est plus rare de constater que la haine de l’autre a pris une ampleur démesurée ces dernières années. Montée des extrêmes en politique, animosité sur les plateaux de télévision, propos haineux sur internet, rien n’est fait pour apaiser les tensions. Et les stéréotypes, ces raccourcis globalisant, souvent péjorativement, un ensemble de personnes, sont monnaie courante.

Et cela va de la petite remarque d’apparence anodine comme « tiens, tu parles super bien le français n’empêche ! » à « je peux toucher tes cheveux ?! », mais aussi l’imitation de l’accent chinois au déguisement blackface, ou encore aux raccourcis du style « y a un autre africain dans la boîte, tu vas bien t’entendre avec » à « j’adore les cornes de gazelle, tu pourras nous en faire à la prochaine réunion ? »

Ces interventions sont inappropriées et démontrent que la personne racisée est malheureusement réduite à ses origines et non à sa personnalité, ses goûts, ses valeurs. Deux postulats alors se rencontrent. Il y a ceux qui tiennent ce genre de propos et qui n’ont pas conscience de l’impact quotidien pesant que cela procure chez ceux qui les entendent, qui l’ignorent ou le minimisent. Et il y a ceux qui se croient permis de faire des blagues racistes au nom de la liberté d’expression, que de toute façon, « on ne peut plus rien dire et s’il n’est pas content, il n’a qu’à rentrer chez lui »… Mais, au fait, c’est ici chez lui…

Les écrans désinhibent la force des propos

Il a été démontré que parler derrière un écran d’ordinateur ou de téléphone libère plus facilement la parole, au détriment, trop souvent, du respect d’autrui. Encouragé par les commentaires précédents des uns et des autres, mais aussi par l’absence directe de l’interlocuteur et des possibles conséquences… L’appartenance à un groupe, même virtuel, crée un devoir de loyauté qu’il faut prouver. Des milliers de propos condamnables sont écrits quotidiennement et ne sont pourtant pas réprimandés. On ose plus, on critique davantage et on oublie qu’il y a de vraies personnes, derrière leur écran, qui lisent ces propos. La notion d’empathie nous échappe.

La discrimination au travail

Quand la culture organisationnelle va à l’encontre de nos valeurs

Il est essentiel de se sentir épanoui et en sécurité sur son lieu de travail, respecté et considéré. Et pourtant, selon SOS Racisme, les cas de racisme au travail concernent au moins 20% des plaintes et touchent toutes les sphères professionnelles, aussi bien les entreprises privées que publiques, aussi bien le travail de bureau que celui réalisé en extérieur. Intimidation, blagues racistes ou sexistes, différence de traitement, harcèlement moral, mise au placard… Que ce soit de manière plus ou moins consciente ou directe, certains salariés en sont victimes tous les jours.

Et pourtant, l’employeur a l’obligation de veiller sur la santé et la sécurité de ses employés (article L 4121-1).
Et pourtant, les risques psychosociaux sont inscrits noir sur blanc dans le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUEvRP), obligatoire dans chaque entreprise
Et pourtant, un salarié qui tient des propos racistes envers un de ses collègues peut être lourdement sanctionné et la discrimination peut être puni par 3 ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende.
Et pourtant…

Discrimination raciale au travail

Se taire, c’est accepter. Dénoncer, c’est avancer

Il faudrait pouvoir sensibiliser la direction des ressources humaines, alerter sur les comportements déviants et inacceptables au travail, mettre en place de vrais plans d’action pour que cela soit pris au sérieux et ne se reproduise plus.

Cependant, chaque demande, chaque injonction même minime sera perçue comme de trop. A croire que lorsque l’on est minoritaire, il faut se taire. Et malheureusement, encore trop souvent, au lieu de vous écouter, on va vous demander de vous justifier, d’apporter des preuves de ce que vous dîtes, de ne pas être trop susceptible car ce n’est pas si grave au fond… Ces personnes n’auront pas conscience du poids de leurs mots et de leurs actes, de cette ségrégation latente, de cette différence de traitement. Et par voie de conséquence, les salariés racisés vont apprendre à se taire pour ne pas faire de vagues, pour ne pas passer pour « le relou de service qui n’a pas d’humour » et pour ne pas risquer de perdre leur job.

Le problème est que bon nombre de salariés victimes de discrimination en raison de ses origines ou de sa couleur de peau (mais aussi en raison de son sexe, son âge, son poids ou son handicap…) peut sous-estimer l’impact des mots, va continuer à travailler dans une ambiance délétère et ne va pas voir arriver le jour du « mot de trop », ce fameux point de non retour avec installation de conséquences sur le long terme : repli sur soi, enfermement, perte de confiance en soi, anxiété, anhédonie, dépression, perte d’élan vitalBurn-out à l’horizon, il n’en faut pas plus pour porter atteinte à sa santé.

Pour finir…

Le racisme, comme toute autre forme de discrimination, risque d’avoir encore de beaux jours devant lui. Alors quelles que soient les pressions, les formes d’intimidations, les blagues et les menaces, il ne faut pas se taire. Il faut continuer à marcher la tête haute car ce n’est pas votre apparence qui fait de vous ce que vous êtes, et encore moins l’avis des autres.

Même lorsque l’on n’est pas victime mais témoin, il est important de faire remonter l’information, surtout si on considère que les propos et les actes dont sont victimes nos collègues vont à l’encontre de nos valeurs profondes.

Un secret est moins lourd à porter lorsqu’il est partagé. Ne vous taisez pas, ne vous taisez plus. Des dizaines d’associations sont là pour vous aider. Si vous en souffrez, alors vous êtes légitime de vous plaindre.


© Article de Pauline GEORGE | Psychologue du travail