Qu’est-ce que l’autisme ?
L’autisme est un Trouble Neuro-Développemental (TND) qui toucherait en moyenne une personne sur 100. Etre autiste entraine un fonctionnement différent pour les personnes concernées. Selon le DSM-V (à savoir l’ouvrage de référence classifiant les différents troubles mentaux), l’autisme consisterait en « des troubles de la communication et des interactions sociales, des comportements répétitifs et restreints ».
Il n’y a pas qu’une seule forme d’autisme mais bien une infinie pluralité, d’où le terme de « spectre autistique ». Chaque personne ayant un trouble de l’autisme est différente et ses besoins sont les siens. Il faut sortir des idées reçues, de l’image de l’autiste savant qui connait le nombre d’allumettes contenues dans une boîte ou qui se balancent frénétiquement sans pouvoir s’arrêter. Ce trouble est beaucoup plus complexe à appréhender et de nombreuses personnes concernées ne se découvrent qu’à l’âge adulte, notamment chez les ceux ayant un syndrome d’Asperger (sans déficience mentale) grâce à un questionnement, une lecture, une rencontre ou une naissance. Cette découverte est souvent perturbante mais apparaît aussi comme une révélation, un mode d’emploi d’un chemin de vie jamais compris ou assumé jusqu’alors, l’explication d’une sensation d’être différent sans jamais comprendre pourquoi.
L’autisme et la sphère professionnelle
Il semblerait que seuls 5% des autistes travaillent en milieu ordinaire. Ces chiffres prennent en compte tout le spectre autistique, qu’il y ait, ou non, déficience intellectuelle. Ce faible taux s’explique par de nombreux arguments, à savoir :
- les difficultés à passer un entretien d’embauche, qui s’avère être une étape cruciale car il nécessite la mise en avant des compétences sociales. C’est la première fois que l’employeur rencontre son candidat, donc c’est la première idée qu’il va se faire de lui. Les personnes ayant un trouble de l’autisme n’arrivent pas à « se vendre », à parler d’elles, paniquent ou fuient littéralement ;
- les employeurs pensent, à tord, que les aménagements du poste de travail sont onéreux (du fait d’un RQTH (Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé)), alors que bien souvent il ne s’agit que d’un peu de souplesse dans les conditions de travail pour qu’un salarié se sente à l’aise (télétravail, casque anti-bruits…) ;
- les salariés ont besoin d’un cadre prédéfini et d’une structuration temporelle (planning rigoureux, horaires prévisibles, pas d’imprévus…), qui est trop souvent en inadéquation avec les vicissitudes inhérentes à certains postes ;
- ils ont besoin d’explications concrètes, de consignes écrites voire imagées claires, qu’ils sont d’ailleurs capables de respecter de manière trop strictes (« j’ai demandé à un de mes salariés de ne me garder que les cageots en bon état » me confie un patron un jour, « il a jeté 97% du stock pour des défauts quasi invisibles et sans conséquences pour la production, j’ai dû reformuler ma consigne en étant plus clair dans mes propos et en lui donnant des exemples de ce qui est acceptable »)
- ils peuvent paraître « dans leur bulle », exclus de tout contacts et échanges sociaux lambda, et encore plus inaptes à suivre une conversation entre plusieurs personnes ;
- ils peuvent présenter des hypersensibilités et être dérangés par la lumière, le toucher, le bruit de certaines machines (imprimante, aspirateur, circulation…), ce qui les empêchent de se concentrer à leur tâche
L’emploi en milieu ordinaire demande donc parfois beaucoup trop d’énergie aux personnes autistes. Elle finissent soit par démissionner, soit par craquer. C’est ce qu’on appelle le burn-out autistique.
Qu’est-ce que le burn-out autistique ?
Le burn-out signifie « brûler de l’intérieur ». C’est un épuisement professionnel dû à des conditions de travail en inadéquation avec ses attentes ou ses ressources personnelles. De manière générale, l’employé se donne intégralement à son métier, est investi, a des attentes fortes (workaholism) mais qui n’arrive pas à trouver le retour nécessaire pouvant justifier un tel engagement. Il épuise son énergie, ne se reconnaît plus, éprouve une extrême fatigue physique et psychologique jusqu’à ce qu’il craque.
Selon les chiffres de l’Opinion Way datant de l’été 2022, un salarié sur trois serait en situation de burnout. Ces chiffres ont triplé depuis la période Covid de 2020. Les raisons les poussant à vouloir partir sont la rémunération, la reconnaissance, l’évolution professionnelle, l’ambiance de travail et enfin le style de management.
Les personnes ayant un TSA sont plus à même de faire un burnout que les autres, car en plus de leur situation de travail pouvant être compliquée, ils doivent gérer leur profil atypique.
Quelles sont les causes de ce burn-out autistique ?
Les facteurs de stress face à une situation de travail, et donc face à une situation sociale, sont :
- le camouflage social ou masking : les salariés autistes vont faire en sorte de cacher leur singularité en s’intégrant le plus possible à la vie sociale de l’entreprise. Pause café dans la salle de repos, réunion, repas avec les collègues, bavardages… Autant de mise en place de situations sociales pouvant perturber, agresser et déstabiliser les salariés autistes qui s’épuisent au contact des autres. La sociabilité demande de l’énergie et mobilise plus de ressources que ce que l’on peut imaginer : regarder dans les yeux, écouter l’interlocuteur, ignorer les stimuli externes, avoir une bonne distance interpersonnelle, réagir de manière adéquate, comprendre les expressions de son visage pour deviner son émotion… Tout ce qu’un neurotypique (non autiste) fera naturellement, un autiste va devoir l’anticiper, le réfléchir et cela occasionnera du stress. Le cerveau fonctionnera à l’image d’une voiture automatique et manuelle : l’une réglera la situation sans avoir à y penser lorsque l’autre devra effectuer toutes les manœuvres
- les attentes de la société : nous sommes des êtres profondément sociaux et la norme sociale veut que l’on s’intègre dans notre espace de vie, dans la communauté à laquelle nous appartenons. Et bien souvent, les salariés autistes ne correspondent pas aux attentes de cette norme. Ils n’ont pas nécessairement envie de parler avec les autres et encore moins de parler sur les autres, ils préféreront certainement manger leur repas seul ou encore ne pas travailler en collaboration. Ce n’est pas nécessairement par choix et encore moins par snobisme, juste par protection. « J’économise ma sociabilité » m’a confié une patiente un jour qui refusait deux fois sur trois d’aller manger avec ses collègues. Une autre, synesthète, n’arrive pas à comprendre les émotions des gens mais elle a la capacité exceptionnelle de voir les situations en couleur. « Lorsque je ressens mon collègue en jaune, je sais que je peux aller lui parler, mais si d’un coup il vire au marron je sais que la situation tourne mal, même si je ne sais pas encore pourquoi ». Elle préférera donc s’isoler plutôt que de mal faire.
- la gestion du handicap : le salarié autiste va évoluer en moyenne 8h par jour dans des conditions qu’il ne pourra pas maîtriser : trop de luminosité, trop de bruit, trop de monde autour de lui, trop d’interaction. Il va éprouver une fatigue sensorielle importante qu’il aura du mal à ressourcer un fois rentrer chez lui. Il va ressentir de besoin de beaucoup dormir, de s’isoler, de ne plus avoir de passe-temps parce qu’il n’en a plus la force. Il n’aura plus de patience pour sa famille ou ses proches, se mettra davantage en colère.
Quelles sont les conséquences de ce burn-out autistique ?
Toutes ces raisons font que le salarié ayant un profil autistique ressentira une fatigue chronique, la sensation d’une diminution de ses compétences et une tolérance encore plus réduite face aux stimuli extérieurs. Il pourra développer une surcharge sensorielle, appelé shutdown (fermeture) ou meltdown (effondrement émotionnel).
Le shutdown peut être considéré comme une stratégie de défense interne face à l’agression des stimuli externes, trop nombreux, trop puissants, trop invasifs. Les personnes concernées se replies sur elles-mêmes, se renferment : elles ne parlent plus, ferment les yeux, les oreilles, se balancent… Si ce renfermement sur soi-même n’est pas suffisant alors arrive le meltdown, à savoir l’explosion : cris, pleurs, agression envers autrui ou envers soi-même…
Comment éviter le burn-out autistique ?
Il existe de nombreux aménagements simples à mettre en place pour qu’un salarié se sente à l’aise dans son environnement de travail :
- Communiquer : il n’est pas inintéressant de parler de son profil à son employeur de manière authentique, et de lui expliquer en quoi cela consiste chez vous car tous les autistes sont différents et ont des besoins différents (cela évitera aussi de tomber dans l’image préfabriquée de ce qu’est un autiste, vu dans les films entre autres). Parler de vous lui permettra de mieux de vous comprendre et de connaître vos besoins, mais aussi d’éviter les quiproquos ou l’image négative que l’on peut avoir de vous. « Lorsque j’ai dit à ma cheffe que j’étais autiste, elle m’a dit « ah ok, je pensais juste que vous étiez mal élevée ! » » m’a dit un jour l’une de mes patientes. Communiquer évite les non-dits, les « messes-basses », les critiques.
- Télétravailler : travailler de chez soi a pris une ampleur considérable ces dernières années. Cette situation de travail est très souvent préférable au fait de travailler en présentiel pour plusieurs raisons : se lever moins tôt, moins de préparation, de stress d’être en retard, de temps de route (embouteillage, métro bondé, pollution… autant de facteurs négatifs prenant une plus grande proportion dans la vie des personnes avec trouble de l’autisme), de gens à qui parler, de contacts physiques et d’obligation de « masking ». Je ne conseille évidemment pas le « full-télétravail » car il faut pouvoir se réinsérer ponctuellement dans un cadre de vie social classique.
- S’équiper : il y a de nombreux équipements peu coûteux permettant d’atténuer la sensation d’agression sensorielle : casque anti-bruit, clavier adapté, lunettes tamisantes, filtres aux fenêtres… Mais il y a aussi d’autres méthodes pour prendre soin des salariés, comme de leur proposer un bureau seul, excentré et pourquoi pas des horaires adaptés.
- S’écouter : enfin, il est essentiel de prendre soin de soi et d’écouter son corps. Les salariés présentant un trouble de l’autisme se connaissent mieux que quiconque, leurs besoins, leurs limites, leurs failles. C’est pourquoi il est indispensable de se poser, d’essayer de comprendre ce qui ne va pas, la raison (surcharge émotionnelle…) et quelles sont les ressources à disposition pour tenter d’atténuer le mal et qui sont propres à chacun (s’isoler, écouter de la musique, manipuler un objet…).
L’autisme est aussi un atout précieux
Les salariés autistes peuvent ressentir une faible estime personnelle et ont peur d’être perçus comme moins compétents que les autres salariés neurotypiques. Pourtant, ils ont des capacités à valoriser comme :
- une attention particulière aux détails : plus rigoureux, avec un grand sens de l’observation, les salariés autistes seront plus aptes, de manière générale, que d’autres à déceler ce qui ne va pas ;
- une source d’idées : avec un mode de pensée différent, l’apport d’idées nouvelles sera enrichissant et novateur ;
- une honnêteté sans faille : très franc et consciencieux, vous n’aurez absolument aucun mal à leur faire confiance
- un professionnalisme irréprochable : le salarié aura envie de bien faire les choses et y mettra tout son talent pour y arriver
Tout ceci apporte une réelle plus-value aux entreprises, ce qui constitue une sorte de « gagnant-gagnant » entre employeur et salarié.
En conclusion
Le burn-out est l’une des plus grandes conséquences due à un déséquilibre professionnel. Certains profils de personnalité sont plus à même d’en faire et certaines professions aussi. Les personnes présentant un trouble du spectre de l’autisme sont assujetties à cette problématique, car ils présentent une fragilité sociale les rendant plus vulnérables. L’autisme commence seulement à être mieux compris depuis une dizaine d’années, écoutons ce que les personnes concernées ont à nous dire pour améliorer leurs conditions de travail, car ils sont une vraie richesse dans nos entreprises, et par extension, dans notre société.