Vous savez, on dit souvent que le mieux est l’ennemi du bien. En voici ici un très bon exemple. Le workaholisme. Ou ergomanie. Ou encore dépendance au travail. Nous en parlons de plus en plus car nous mettons en évidence ses travers : non, être un bourreau de travail n’est pas nécessairement une bonne chose, tant pour l’employé que pour l’employeur.
Le workaholisme serait un comportement de base plutôt sain mais déployé à l’extrême. Dans la même logique, nous avons la bigorexie (addiction aux sports) ou l’orthorexie (addiction à la nourriture saine). Dès que nous développons une obsession quelconque, même si elle n’a pas l’air dangereux aux premiers abords, il faut toutefois rester prudent et être conscient des conséquences qu’elle peut avoir, à plus ou moins long terme, sur notre vie.
Nous allons voir ici quels sont les personnes les plus à risque de développer un workaholisme, comment repérer les premiers signes et comment s’en sortir.
Que veut dire « workaholisme » ?
Ce terme est un néologisme, un mot inventé pour désigner un concept de société. Il est la contraction des mots anglais « work » (travail) et « aholism » (alcoolisme, sous entendu dépendance). Il a été mis en avant par Waynes Oates, psychologue et éducateur religieux américain, en 1968 pour parler de l’addiction au travail.
L’INRS (Institut National de Recherche et de Sécurité) définit le workaholisme comme étant « un investissement excessif d’un sujet dans son travail et une négligence de sa vie extraprofessionnelle ». En d’autres termes, une personne qui aura développé une dépendance au travail, quel qu’en soit la raison, passera le plus clair de son temps et de son esprit à sa tâche professionnelle, quitte à délaisser toute vie sociale et familiale.
Quels sont les facteurs de risque ?
Il y a des personnalités qui sont plus à même que d’autres à développer un workaholisme, mais il y a aussi des conditions de travail qui amènent à cette culture du surinvestissement , à savoir :
- le professionnalisme exacerbé : très soucieux de bien faire, très grande implication au travail, perfectionnisme. Que ce soit pour prouver que l’on en est capable, parce qu’on ne sait pas faire les choses à moitié, par tradition familiale ou par soucis de reconnaissance, le professionnalisme exacerbé amène à ne plus compter ses heures. Il serait très frustrant pour le salarié de ne pas avoir fini ce qu’il avait commencé et de rentrer chez lui avec un travail inachevé.
- la vocation : parce que l’on est passionné par le métier que nous avons choisi, parce que l’on a consacré sa vie, ou presque, à s’intéresser au sujet et à se documenter en dehors des études, la vocation amène à s’investir. On ne fait bien que ce l’on aime, quitte à se donner « corps et âme » pour réussir ce pour quoi nous nous sommes tant investis.
- la pression managériale : les entreprises sont de plus en plus compétitives et en demandent toujours plus à leurs salariés. Parce que cela ressemble de près ou de loin à de la « culture d’entreprise », il est de bon ton de rester après les heures officielles de boulot et de faire en sorte de faire mieux que les autres. On fait comme les autres, sinon cela serait mal vu. Nous avons même l’impression que c’est devenu naturel. On se prend au jeu… et on se perd au jeu…
- le refuge : lorsque quelque chose ne va pas dans la relation de couple ou familiale, lorsque l’on a un soucis sur le plan personnel, nous avons tendance à nous réfugier dans notre métier, y rester plus longtemps et ne penser qu’à ça. Puisqu’on ne maitrise pas toujours notre vie privée, autant mettre tout notre temps et notre énergie dans quelque chose de productif.
- le télétravail : de plus en plus répandu, surtout depuis le confinement de 2020, le télétravail s’inscrit et s’impose dans nos quotidiens comme l’alternative idéale. Plus de transports, de conversations informelles à la machine à café, d’interactions stériles… donc plus de temps pour travailler ! Les salariés ont tendance à être davantage productifs pour montrer qu’ils sont capables de bien faire en dehors du cadre du bureau, ils n’ont pas de limite temporelle ni de collègues pour leur rappeler l’heure qu’il est. Ils seront donc susceptibles de moins respecter le non-empiétement de la vie professionnelle sur la vie privée. A cela s’ajoutent les TIC (Technologies de l’Information et de la Communication), à savoir les smartphones et les tablettes qui empêchent la déconnexion, même le soir, les week-end, les jours fériés et les vacances.
- les indépendants ou ceux ayant de hautes responsabilités : capables d’en fournir toujours plus, ils n’ont aucune limite de temps, contrairement aux fonctionnaires et autre salariés soumis aux règles de l’entreprise
- les anxieux : cela concerne les salariés qui n’ont pas confiance en eux et qui vont travailler dix fois plus que les autres pour avoir le sentiment de compenser « leur incompétence », du moins celle qu’ils sont persuadés d’avoir.
Cependant, il est intéressant, dans certains cas, de se poser la question de l’ordre d’arrivée, de la cause ou de la conséquence : est-ce que c’est parce que l’on est anxieux que l’on devient workaholic ou est-ce que c’est parce que nous sommes workaholics que nous sommes anxieux ? Nous sommes dans un véritable cercle vicieux.
Comment reconnaître que l’on est workaholic ?
Comme dans toute addiction, la frontière est souvent floue entre le « c’est pas grave… je maitrise… je m’arrête quand je veux » et le « je crois que j’ai un problème, j’ai besoin d’aide ». C’est très souvent notre entourage qui nous fait comprendre que nous avons changé.
Un workaholic se reconnaît facilement au travers de ces quelques signes :
- rupture du lien social, isolement : plus rien d’autre que le travail n’aura d’importance. Le workaholic sacrifiera sa vie privée, familiale et sociale, pour se consacrer à des tâches professionnelles
- prise d’initiatives : le workaholic fera du travail supplémentaire que personne ne lui aura demandé. Il anticipera sur des projets ou avancera sur des tâches non essentielles. Il prendra de l’avance sur tout le monde
- impossibilité de déléguer : le travail ne sera jamais aussi bien fait que par lui-même, alors il n’arrive pas à respecter le modèle d’Eisenhower (déléguer, faire, éliminer et planifier). Ce dernier permet pourtant de gérer son travail sans se laisser déborder
- colère : le workaholic sera facilement irritable et vite contrarié si quelque chose ne fonctionne pas aussi bien et aussi vite que prévu. Il aura du mal à gérer ses émotions, notamment sa colère
- pas de limites : ne sait pas s’arrêter de travailler car est tellement pris dans ses dossiers et/ou est passionné par ce qu’il fait. Il ne se rend donc pas compte qu’il est en train de s’épuiser. Il préfèrera d’ailleurs travailler seul, ce qui amplifiera son temps de travail et son implication
- culpabilité : quand il ne travaille pas, le workaholic a le sentiment de ne pas être suffisamment professionnel et de manquer à son devoir de salarié. Potentiellement, il imagine les autres travailler et cela le fait se sentir encore plus mal
- part tôt et rentre tard : le workaholic est celui qui reste le plus longtemps sur les lieux de travail, pour être sûr de ne rien manquer ou de finir ce qu’il a à faire, bien que cela empiète sur son quotidien
- perfectionnisme professionnel : le travail ne peut être que bien fait, sinon ce n’est pas professionnel. Peu importe le temps que cela prendra, le workaholic mettra tout en œuvre pour rendre un travail impeccable. Il peinera d’ailleurs à déléguer, ne faisant que rarement confiance en ses collègues
Quels sont les risques ?
Pour le salarié
Le workaholisme n’est pas à prendre à la légère, c’est une véritable addiction comportementale, avec tout son lot de conséquences sur la santé physique et psychologique du sujet. Voici une liste non exhaustive de symptômes à ne pas minimiser :
- TMS (Troubles Musculo-Squelettique) : douleurs musculaires, contractions, fragilités au niveau des cervicales…
- troubles du sommeil : difficulté à trouver le sommeil, cauchemars, réveil nocturne…
- rupture du lien social : ne sort plus, ne participe plus aux activités de famille ou entre amis, changement de comportement, d’attitude envers ses proches, isolement…
- troubles de l’alimentation : TCA (Trouble des Conduites Alimentaires), saut de repas, « malbouffe »…
- troubles anxieux : ruminations, doutes, angoisses…
- surmenage, burn-out, dépression
Pour l’entreprise
Contrairement à ce que l’on peut croire, le workaholic n’est pas aussi productif qu’il en a l’air. En effet, le perfectionnisme ne va pas souvent de paire avec le productivisme. C’est-à-dire qu’à trop vouloir bien faire, les workaholics vont se perdre dans une montagne de détails. Ils perdent le sens premier de leur activité salariale. Il auront le sentiment de faire beaucoup mais ce ne sera que de l’apparence, le fond du sujet n’est pas traité en profondeur. Paradoxalement, ils vont surtout brasser du vent.
D’autre part, ils ont du mal à travailler en collaboration avec d’autres personnes. En effet, ils considéreront qu’ils ne travaillent pas suffisamment bien, du moins, pas à leur image. Peu enclins aux discussions informelles, à faire des pauses et à bavarder, les workaholics ne sont pas souvent des collègues considérés comme étant amicaux. Les travaux de groupe peuvent être difficiles à mener.
Comment s’en sortir ?
Comme dans toute addiction, il faut d’abord se rendre compte que quelque chose ne va pas. Les workaholics seront d’abord dans le déni et ne voudront pas se rendre à l’évidence. Puis il y a la phase d’acceptation : « j’ai un problème et j’ai besoin d’aide ». Accepter, c’est déjà avancer. Dès que possible, il est conseillé aux workaholics de consulter un psychologue sensibilisé à cette dépendance. Il saura apporter un rééquilibrage dans la vie du salarié, instaurer des limites.
Ce rééquilibrage doit se faire, dans le meilleur des cas, en partenariat avec les entreprises. Elles doivent être sensibilisées à ce problème et ne pas alimenter ce mal-être profond, encore trop souvent peu considéré, au même titre que le burn-out. Les entreprises ne doivent en aucun cas utiliser cette dépendance à leur profit.
Pour finir
Le workaholisme n’est pas à prendre à la légère et les conséquences peuvent être dévastatrices pour le salarié. C’est très souvent la qualité empêchée (manque de temps, de moyens, d’entraide…) et le manque de conscientisation de ses propres limites qui vont « le réveiller » et plonger la personne dans un surmenage voir un burn-out. Désillusion, manque de passe-temps et de projets, aspects contraignants du métier : tout est fait pour plonger le salarié dans un état de détresse sans qu’il puisse s’en rende compte. Il ne faut en aucun cas hésiter à consulter un psychologue (psychologue du travail ou autre spécialiste) qui vous conseillera au mieux dans la prise en charge.